vendredi 20 avril 2012

Tendrement vôtre

C'est dans les détails que l'on trouve l'essentiel.

Aujourd'hui, j'ai ajouté une nouvelle ligne à la liste des raisons pour lesquelles je continue à exercer ce métier. Ces petits "riens" qui illuminent une journée, qui vous émeuvent, vous retournent. Pas besoin d'autre chose pour vous gonfler le cœur.

Je vous ai parlé il y a peu de temps du plaisir, de la joie que l'on pouvait tirer du regard d'un élève, de la manière dont il s'adresse à vous. L'on sent alors toute l'importance que l'on revêt à ses yeux, on est un repère, un phare. Oh, il vous aura peut-être vite oublié  mais l'importance que vous revêtez à ce moment t est incomparable...
J'ai surpris aujourd'hui une conversation entre élèves alors que j'écrivais quelques lignes au tableau:

"L'année prochaine, on sera dans une autre classe dans une autre école!
- Ah oui? Ce sera plus le même maître?
- Bah, nan, ça sera plus mon maître.
- C'est pas TONmaître, c'est aussi le mien!
- Nan, c'est le maître de toute la classe."

J'ai fermé les yeux, j'ai souri, j'ai respiré à fond.

Je suis le maître de ma classe et ce sont mes élèves.

Rag'_instit'

mercredi 11 avril 2012

L'incroyable Hulkssard se déchaîne...


"La colère, c'est comme les chiottes: quand ça déborde, mieux vaut ne pas traîner dans le coin.
Delafon Jacob, 1923.


Il aura fallu sept mois pour que Ça arrive.


Sept mois de maîtrise de soi, d'introversion. Sept mois pour que les digues de ma légendaire tempérance se trouvent submergée par un tsunami de fureur bestiale. La bête qui sommeillait en moi s'était retranchée au plus profond de mon être et semblait ne plus devoir réapparaître . "Il" a brisé ses chaînes et, tel un diable qui sort de sa boîte, a transformé, l'espace d'un instant, une salle de classe en scène apocalyptique: hurlements, pleurs et prières ont accompagné ce déchaînement de forces occultes.


Je suis le Professeur Bruce Ragner, spécialiste de l'enseignement en milieu enfantin. Mes recherches sur la didactique des matières fissiles et difficiles (la grammaire ou la multiplication, c'est trop difficile!) m'ont poussé dans des retranchements de mon être que vous ne soupçonneriez même pas. J'ai découvert à de multiples reprises que, soumis à une émission trop forte de rayons Kasse-Kouilles, les conditions deviennent malheureusement propices à l'apparition de la "bête". Dès que je ressens une offense ou un choc émotionnel à forte charge Kasse-Kouilles, une saisissante métamorphose s'opère: je deviens...


 L'incroyable Hulkssard de la République!


C'était une journée comme les autres. Rien ne présageait des évènements qui allaient suivre. Il y aurait dorénavant un "avant" et un "après"... Il était 9h05, l'appel avait été effectué, les élèves m'écoutaient narrer la traditionnelle "histoire d'accueil", j'aime recueillir tout leur attention à l'aide d'albums, de contes illustrés, juste avant d'attaquer une longue matinée studieuse. On frappa. Comme à son habitude, la cantinière effectuait le relevé des élèves présents à la demi-pension. Je sentis un rayonnement négatif dans son ton alors qu'elle me demandait une entrevue dans le couloir, hors de portée des yeux et des oreilles de mes élèves. Ça puait la Kasse-Kouillite, minerai intelligible qui est à l'enseignant, ce que la Kriptonite est à Clark Kent: une belle merde! Ça n'a pas loupé! On me reprochait une décision malheureuse que j'avais prise le vendredi précédent. Plusieurs vols dans la classe m'avait poussé à tenter de démasquer le ou la coupable en retardant un maximum le départ à la cantine. Mal m'en a pris car, non seulement je n'avais pas trouvé le malotru mais j'avais foutu une belle pagaille dans le service de cantine. Tout le monde ne peut pas être parfait. Je présentai mes excuses quelque peu marri de me voir ainsi épinglé. J'essayai de me justifier tout en arguant de ma bonne foi. Peine perdue: j'avais foutu le bordel et ça risquait de chier... Ouille! Putain de Kasse-kouillite...
Je gérai. Au fil de la matinée, j'effectuai mon travail et me confiai auprès de mes collègues, contrarié que j'étais. Le rayonnement Kasse-Kouille me remuait le bide.

Et vint l'après-midi. À 13h30, alors que la marmaille, en rang d'oignons,  rentrait en classe, des parents d'élèves - qui, vous n'êtes pas sans l'ignorer, sont faits de Kasse-Kouillite pure 58 carats - vinrent m'entretenir de cette fameuse affaire de raccourcissement de cantine. Et "blabla que mon fils, il a pas eu le temps de manger..." et "blabla, c'est cher payé pour un repas à moitié ingurgité...", et "c'est pas normal..."... Sur quoi, je leur répondis que n'étant pas totalement infaillible, il m'arrivait de prendre des décisions à chaud en toute bonne foi mais qui, une fois analysées, ne se révèlaient pas toujours idéales. Peine perdue, ils ne m'entendirent pas, ils ne me comprirent pas. 
Grrrrr... 
La boule de colère grossit. Je leur rétorquai que ,d'une manière ou d'une autre, il y aurait toujours des mécontents (cf. les parents de l'enfant qui se sera vu dérober son stylo-plume) et qu'en fin de compte, l'on viendrait toujours se plaindre auprès du misérable fonctionnaire que j'étais. 


GRRRRR... 


Je coupai court à la conversation, mon travail m'attendait. 


Grrrmmmm... 


Ma tolérance aux rayons K-K frôlait ses limites.


Le front bas, les sourcils plissés, je grommelais quelques noms d'oiseaux inintelligibles pour mon auditoire. Le travail allait enfin pouvoir reprendre en toute sérénité et la colère que je sentais sourdre au fond de ma gorge allait retourner se tapir au plus profond de mes entrailles, mes pensées et mon attention occupées à d'autres tâches beaucoup plus intéressantes. Grosse erreur.
Il ne fallut qu'une poignée de minutes pour qu'un gisement de Kasse-Kouillite n'émerge au beau milieu de ma classe. Une élève, somme toute discrète, me signala que son stylo avait disparu. Je m'enquis auprès d'elle de savoir si elle était sûre de l'avoir en sa possession le matin même. Elle opina du chef. 
Grrrraaaouuu... "Putain de de bordel de merde!" me dis-je
"Ils vont quand même pas remettre ça?"
Je ne supportai plus les doses de K-K encaissées, la gorge me serrait, les mots me manquaient. Impossible de m'emporter dans une de ses tirades courroucées dont j'ai le secret. Pour jouer la colère, il faut être serein. Là, le vase était plein, impossible de surjouer. D'une voix douce, quasi mielleuse, j'interrogeai l'assistance espérant que l'indélicat(e) se dénonce sans tarder. Le calme avant la tempête quoi. J'attendais. 

"C'est Truc qui l'a pris dans la trousse de Machin.
- Non, j'ai juste regardé.
- Et après, tu l'as jeté là-bas." m'avouèrent deux élèves déjà lourdement sanctionnées pour de précédents larcins.

Et le vase déborda...

Dans un mouvement de ralenti digne du Septième art, la goutte chuta dans le vase de mon subconscient. Le vase ne déborda pas, mais tangua pour finalement se déverser dans un flot impétueux (avez-vous remarqué comme les flots sont souvent impétueux?). En un éclair, mon corps fut submergé par une vague de colère incommensurable, un typhon emportait les vestiges de digues qu'avait tenté de dresser mon Surmoi face à l'irrépressible bestialité. Je me transformai en 


L'INCROYABLE HULKSSARD!!!!!





Les yeux injectés de sang, les babines retroussées, mon pouls se fit "marteau-piqueur". Je déversai mon ire sous les yeux ébahis et apeurés de mes ouailles! La bave aux lèvres, je mitraillais les plus proches de mes élèves d'une nuée de postillons incontrôlés. Je pointai un doigt tremblant et accusateur vers les demoiselles incriminées tandis que j'entamais des allées et venues devant le tableau noir. La fureur m'étreignait les neurones, le Ça si cher à Sigmund avait foutu un bel Ippon à mon Surmoi: K.O! Ding!
Ma voix généralement si grave atteignait des octaves insoupçonnées et les trémolos dans la voix ne tardèrent pas à faire leur apparition tant la perte de contrôle était totale. Manquait plus que j'en attrape une dans la gueule et que je le bouffe sur mon bureau. Tout cru.


Elles avaient déchaîné les feux de l'Enfer et étaient aux premières loges pour assister au spectacle pathétique mais non moins terrifiant d'un homme en proie à une colère inextinguible. La crise ne dura que quelques minutes, mais assez pour que la secrétaire de direction, attirée par les hurlements et grognements, vienne prendre des nouvelles des survivants. 

Je repris mes esprits ainsi que le contrôle de mon élocution et enfouis ma hargne sous une chape de bon sens armé à la honte. J'étais vidé. Moralement. Physiquement. 

Le reste de la journée fut calme. Bizarre.


NB: Cet état n'est en aucun cas un défouloir, c'est usant et peu glorieux. Je profite de ce blog pour écrire un billet qui tiendra lieu de catharsis. 
Heureux sont celles et ceux qui ne croiseront jamais la route de ...


L'INCROYABLE HULKSSARD!!!!!


samedi 7 avril 2012

Inventaire

Pfiouuu, dure journée. 


Ou plutôt devrais-je dire "dureS journéeS". 



C'est qu'c'est pas tous les jours faciles la vie d'instit'... Si je dis "vie" et pas "boulot" ni "métier", c'est qu'il y a une bonne raison; enfin, en ce qui me concerne. D'aucuns penseraient que notre boulot consiste à s’occuper pendant 6 heures de la progéniture des forces laborieuses de la France qui se lève tôt, semant çà et là quelques graines de savoir et montant un peu le ton afin de rétablir un calme propice à une sieste postprandiale, une garderie améliorée quoi. Que nenni! La vie d'instit', c'est H24, 7/7, même que t'en rêves! 

L'on entend souvent les mêmes récriminations: "z'avez la sécurité de l'emploi.", "z'êtes toujours en vacances!", "vous vous plaignez tout le temps." et ça se finit souvent par un "s'pèce de fonctionnaires!". Ah ouais, j'allais aussi oublié la légende urbaine qui voudrait que l'on soit payé les jours de grève... Désolé de casser un mythe, de vous ôter cet argument qui trouve sa place dans tout bon repas de famille mais je puis vous assurer que ce n'est pas le cas, ma fiche de paie est intraitable là-dessus.

Encore heureux qu'il y ait quelques avantages à exercer au sein de l'Éducation Nationale! Je suis pas masochiste à ce point. Il est vrai que si j'avais voulu gagner plus de fric, je ne me serais pas engagé... Non, j'ai choisi une certaine qualité de vie. Envie de rester à l'école, envie de côtoyer les enfants, vos enfants qui, l'espace d'une année scolaire sont un peu mes enfants. Envie d'avoir du temps à consacrer à ma famille, ma maison, cultiver mon jardin, au sens propre comme au figuré.
J'aime mon boulot, mais ce n'est pas le moteur d'une vie. Je n'envie pas ces entrepreneurs, jeunes ou moins jeunes, qui, sous prétexte de vouloir mettre à l'abri du "besoin" leur famille, se privent de profiter des meilleurs années de leur existence, de l'existence de leurs enfants. La réussite d'une vie se mesure-t-elle à l'aune de son compte en banque? Certains y croient, d'autres moins. Ne croyez pas que je promeuve une vie "d'amour et d'eau fraîche", je pense qu'il est nécessaire de trouver un juste milieu entre ses prétentions, ses rêves et ses capacités. Un équilibre.

J'en reviens au boulot lui-même, celui qui me hante jour et nuit. J'ai l'habitude de dire que les difficultés du métier ne viennent pas des gamins eux-mêmes, généralement nous sommes préparés à ça et ne nous berçons pas d'illusions. Les soucis les plus envahissants ont pour nom: PARENTS, ceux qui ne sont jamais là, sont qui s'en foutent, ceux qui n'ont pas le temps, ceux qui ne prennent pas le temps, ceux qui sont toujours là, ceux qui ne font pas confiance, ceux qui savent mieux, ceux qui veulent conseiller, ordonner, ceux ... la liste n'est pas exhaustive.
Effectivement, il est plus facile de travailler avec des gens qui vous font confiance et vous soutiennent. Je reprends ce que j'ai dit plus haut: confieriez-vous la prunelle de vos yeux à quelqu'un que vous ne soutenez pas, pour qui vous n'avez aucune confiance? Personne de sensé ne répondrait "oui" à cette question néanmoins mon expérience prouve le contraire... (D'ailleurs, après avoir abordé les différentes catégories d'élèves qui composent ma classe, j'ai une furieuse envie de m'attaquer à leurs parents! Une vraie jungle, pour ne rien vous cacher.) Il est usant de devoir éviter, amortir, contrer les différentes embûches qui se dressent à longueur d'année. Je suis un capitaine de bateau, d'une croisière qui dure 10 mois et, en bon capitaine Stubing, j'évite les icebergs, bateaux pirates et monstres légendaires qui se dressent devant mon vaisseau. "Madame Casse-couilles, vous cherchez vraiment à couler mon bateau? Le bateau sur lequel vogue votre cher enfant?" C'est un peu ça, mon taf, éviter l'échouage, le naufrage ou la mutinerie.
Difficile d'expliquer cela, tout le monde n'est pas "équipé pour".
Pendant quatre jours sur sept, je vis plus avec les enfants de ma classe qu'avec mes propres enfants, s'il n'y avait pas un peu d'amour, de paternalisme, de tendresse vis-à-vis de ces chères têtes blondes, croyez-vous que cela serait vivable pour eux, pour moi, pour vous?

J'ai la naïveté de croire que la très grande majorité des élèves de ma classe s'y sentent bien, si vous pouviez voir leur visage lorsqu'ils s'adressent à moi, disent "bonjour", "bon appétit" ou "au revoir", vous comprendriez pourquoi l'on appelle cela "le plus beau métier du monde".


Rag'